Chat Control : Des centaines de scientifiques s’opposent au projet européen

Plus de 600 scientifiques et chercheurs issus de 35 pays ont signé une lettre ouverte adressée au Parlement européen et au Conseil de l’Union européenne pour dénoncer le nouveau projet de règlement sur la lutte contre les abus sexuels sur enfants en ligne.

Smartphone enfant

Dans ce texte daté du 9 septembre, les signataires saluent certaines avancées de la dernière version proposée par la présidence du Conseil, publiée le 24 juillet 2025, notamment l’amélioration des mécanismes de signalement volontaire et l’accélération du traitement des alertes. Mais ils jugent que les principaux problèmes demeurent entiers, et même aggravés.

Des technologies jugées inefficaces et dangereuses

Les chercheurs estiment que la détection automatisée de contenus pédopornographiques (« CSAM », Child Sexual Abuse Material) à grande échelle reste techniquement irréalisable. Selon eux, les filtres sont trop faciles à contourner, produisent de nombreux faux positifs et faux négatifs, et ne peuvent atteindre le niveau de fiabilité requis. « Modifier quelques bits d’une image suffit à tromper les systèmes actuels », rappellent-ils.

Ils soulignent également les limites de l’intelligence artificielle dans ce domaine : « Aucun algorithme d’apprentissage automatique n’est capable de distinguer sans erreur un contenu abusif d’échanges consentis entre adolescents », préviennent-ils.

Une menace pour le chiffrement et la vie privée

Le point le plus sensible concerne l’obligation de recourir à la détection « sur l’appareil », avant que les messages soient chiffrés. Une telle mesure, expliquent les chercheurs, détruit par définition les garanties offertes par le chiffrement de bout en bout, utilisé notamment par WhatsApp, Signal ou encore les services de communication internes aux institutions européennes.

« Si cette réglementation est adoptée, le chiffrement sur lequel reposent la sécurité des citoyens, des journalistes, des responsables politiques et même des forces de l’ordre sera compromis », alertent-ils. Signal a d’ailleurs annoncé qu’il pourrait se retirer du marché européen si l’obligation d’un tel filtrage était imposée.

Des effets pervers attendus

Le projet inclut aussi l’introduction de dispositifs de vérification de l’âge pour accéder à certains services. Les chercheurs rappellent que de telles mesures sont aisément contournées, comme l’a montré l’expérience britannique, et qu’elles risquent d’entraîner l’interdiction d’outils de protection de la vie privée comme les VPN. Cela menacerait la liberté d’expression et l’accès à l’information, préviennent-ils.

De plus, ils dénoncent la dépendance croissante à l’égard de solutions techniques proposées par les géants du numérique, rarement soumises à un examen indépendant.

Un appel à changer de stratégie

Les scientifiques plaident pour un changement de cap. Plutôt que de miser sur des solutions technologiques jugées inefficaces et dangereuses, ils invitent l’Union européenne à investir davantage dans des approches éprouvées :

  • l’éducation à la sexualité, au consentement et à la sécurité numérique,
  • des dispositifs de signalement adaptés aux victimes,
  • et des interventions ciblées par mots-clés pour détecter les comportements à risque.

« Lutter contre la diffusion d’images d’abus ne suffit pas : il faut s’attaquer aux causes mêmes de ces violences », conclut la lettre.

Parmi les signataires français figurent une quarantaine de chercheurs issus du CNRS, de l’Inria, de l’Université Paris-Saclay, de l’Université de Lorraine ou encore de l’INSA Rennes.

Une mobilisation et une pétition en ligne

En parallèle, une initiative française menée par Christophe Boutry, ancien de la DGSI aujourd’hui youtubeur et consultant en analyse criminelle, relaie l’opposition au projet via la plateforme StopChatControl.fr. Le site propose une pétition en ligne qui a déjà recueilli plus de 14 000 signatures.

Christophe Boutry met en garde contre un dispositif qu’il qualifie de « surveillance de masse » : le client-side scanning, ou analyse des messages avant leur chiffrement. Selon lui, ce mécanisme reviendrait à imposer un espionnage permanent des communications privées, fragilisant les messageries sécurisées comme Signal, WhatsApp, Telegram ou ProtonMail, et ouvrant la voie à des dérives de censure et de contrôle numérique généralisé.

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