Pour comprendre ce qui s’est joué, il faut se replonger dans le contexte de l’époque. À la fin des années 90, le téléphone portable devient un objet du quotidien. Les opérateurs se multiplient : France Télécom (avec Itinéris), SFR puis Bouygues Télécom. Les forfaits restent chers, limités, l’illimité n’existe pas encore. Alors, quand SFR décide de répondre à Bouygues qui venait de lancer un forfait week-end illimité, en y ajoutant les soirs de semaine, c’est une petite révolution.
L’offre Swag, le nom moche d’une idée brillante
Le nom officiel de cette formule est « Forfait SFR Heure Soirée Week-End Gratuite », abrégé « Swag ». Mais pour tout le monde, ce sera le forfait Millennium (une confusion entretenue avec le nom du forfait concurrent de Bouygues). L’offre : 250 francs par mois, 2 heures d’appel classiques, et surtout des appels illimités vers les fixes et les numéros SFR de 20h à 8h et tout le week-end.
La promesse ? À vie. Une décision prise dans l’urgence, sans grande anticipation.
Succès foudroyant, désillusion rapide
Résultat : près de 500 000 souscriptions en quelques semaines. Une aubaine… ou presque. Car le réseau SFR, pas prêt à encaisser un tel flux d’appels à des horaires non prévus, commence à saturer. À certaines heures, un appel sur dix est coupé. Le service se dégrade, notamment en Île-de-France.
Les usages explosent. Certains abonnés utilisent leur téléphone comme cabine publique pour tout l’immeuble. D’autres participent à des concours de celui qui passe le plus de temps en ligne. Un étudiant affiche fièrement 106 heures d’appel en un mois.
L’apparition d’un marché noir du forfait
Rapidement, la légende urbaine enfle : SFR rachèterait les forfaits à prix d’or pour s’en débarrasser. Des annonces apparaissent sur eBay. Des offres à plusieurs milliers de francs sont évoquées dans les médias. SFR dément, menace de poursuites, organise des focus groups… mais rien n’y fait : le doute s’installe.
Certaines personnes laissent volontairement leur téléphone allumé toute la nuit, espérant se faire repérer. Une paranoïa collective s’installe, alimentée par une communication maladroite de l’opérateur.
SFR tente de reprendre le contrôle
Face à la situation, SFR multiplie les ajustements techniques et contractuels comme la limitation automatique des appels à 2h, obligeant à rappeler ensuite, la mise en place de la minute indivisible, qui rend les appels plus coûteux hors plage illimitée, la suppression de la gratuité du service client pour les abonnés Swag ou encore l’exclusion des offres de fidélité comme la garantie Carré Rouge.
Mais rien n’y fait : les clients Swag se sentent lésés. Certains refusent même des offres de migration vers de nouveaux forfaits, persuadés que leur forfait à vie a une valeur inestimable.
L’action en justice et la condamnation
L’UFC-Que Choisir attaque SFR en justice. En cause : l’augmentation du prix de l’abonnement pendant la période d’engagement de 18 mois. La justice donne raison à l’association : SFR est condamné à rembourser une partie des sommes perçues et à publier un communiqué dans son magazine client.
Mais seuls deux clients ont officiellement obtenu gain de cause, les actions de groupe n’existaient pas à l’époque et chaque abonné devait engager une action en justice pour obtenir réparation.
Avec le temps, les abonnés Swag ont fini par abandonner leur précieux forfait, souvent pour des offres plus compétitives. Certains l’ont gardé pendant des années, par attachement ou par défi. Mais peu ont réellement pu en profiter « à vie » : les forfaits intègrent aujourd’hui en grande majorité les appels illimités vers tous les numéros en France.
Le forfait Millennium est resté dans les mémoires et l’opération a été un succès d’image à court terme, mais un désastre technique et juridique sur le long terme.
Une vidéo à ne pas manquer
La vidéo de Sylvqin, disponible sur YouTube, propose une rétrospective passionnante de cette épopée, mêlant anecdotes, interviews d’anciens employés et témoignages d’abonnés. Un document à la fois drôle, instructif et nostalgique, à regarder absolument pour se rappeler de cette époque révolue.

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