Les bloqueurs de pubs bientôt illégaux en Europe ? Un tournant inattendu en Allemagne

Depuis plus d’une décennie, une bataille judiciaire oppose le groupe de presse Axel Springer à Eyeo, l’éditeur d’Adblock Plus. Ce conflit, relancé récemment par une décision de la Cour fédérale allemande, pourrait marquer un tournant majeur pour l’avenir des bloqueurs de publicités en Allemagne, et potentiellement en Europe.

Axel Springer

Axel Springer, propriétaire de titres influents comme Bild et Die Welt, mène depuis 2015 une campagne acharnée contre les extensions qui bloquent les publicités en ligne. Estimant que ces outils nuisent à son modèle économique basé sur la publicité, le groupe multiplie les recours en justice pour tenter de les interdire.

Après plusieurs décisions défavorables, y compris sur le terrain du droit de la concurrence, Axel Springer a choisi une autre voie : celle du droit d’auteur. L’argument ? Les bloqueurs modifieraient le code HTML des pages web, qui constitue une part essentielle de leur contenu. Ces modifications, selon l’entreprise, s’apparenteraient à une altération non autorisée d’un programme protégé.

Une décision qui relance le débat

En 2023, la cour d’appel de Hambourg avait rejeté cette thèse, estimant que le recours à un bloqueur de publicités ne violait pas le droit d’auteur. Mais coup de théâtre en 2025 : la Cour fédérale allemande casse ce jugement, jugeant les motivations insuffisamment étayées. Elle renvoie donc l’affaire devant les juges pour une nouvelle analyse, notamment sur la nature juridique du code HTML et du traitement effectué par les navigateurs.

Ce revirement n’implique pas encore une interdiction, mais il réactive les risques juridiques pour les développeurs d’extensions de filtrage de contenu. Et pourrait, à terme, servir de référence pour d’autres juridictions européennes.

Un enjeu juridique aux ramifications européennes

Le cœur du débat réside dans la qualification des modifications opérées par les bloqueurs : interfèrent-elles illégalement avec des programmes informatiques protégés ? Axel Springer avance que l’interaction avec le DOM (Document Object Model) ou les CSS (feuilles de style) équivaudrait à une reproduction ou une modification non autorisée selon la loi allemande sur le droit d’auteur.

Si les tribunaux de Hambourg concluent à une infraction, cela pourrait établir un précédent juridique. Certains redoutent que cette interprétation ne déborde le cas des bloqueurs de pub et menace d’autres outils essentiels, comme ceux destinés à améliorer l’accessibilité, la sécurité ou la protection de la vie privée sur le web.

Une fronde des défenseurs du web ouvert

Face à cette menace, les réactions ne se sont pas fait attendre. Mozilla, à l’origine du navigateur Firefox, a dénoncé une atteinte grave à la liberté de choix des utilisateurs. De son côté, Eyeo défend la légitimité des utilisateurs à personnaliser leur navigation. La société rappelle également que son modèle économique repose en partie sur un programme de publicités acceptables, tolérées sous certaines conditions par Adblock Plus.

Google lui-même a restreint les capacités techniques des bloqueurs sur ses navigateurs, poussant des solutions comme uBlock Origin à adapter leurs versions.

Mais les partisans d’un internet libre soulignent que bloquer les bloqueurs, c’est aussi restreindre l’autonomie des internautes, compromettre la protection contre les publicités malveillantes, et fragiliser l’innovation.

Vers un précédent dangereux ?

Si l’Allemagne venait à interdire les bloqueurs de publicité, elle serait la première démocratie à suivre une voie jusqu’ici réservée à des régimes autoritaires comme la Chine. Pour certains observateurs, une telle décision pourrait enfreindre les principes du droit européen, notamment ceux énoncés dans le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).

L’avenir des bloqueurs de publicité se jouera donc à nouveau dans les prétoires, où la bataille s’annonce technique, longue et décisive pour l’écosystème numérique européen.

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