
Le règlement européen « visant à prévenir et à combattre les abus sexuels sur enfants » (CSAR), surnommé Chat Control, entend imposer aux plateformes de messagerie une obligation de scanner les messages, photos, vidéos et liens URL envoyés par les utilisateurs avant qu’ils ne soient chiffrés. Officiellement, l’objectif est de détecter plus efficacement les contenus pédopornographiques (CSAM) et de renforcer la protection des enfants en ligne.
Poussée par le Danemark et soutenue par plusieurs États membres comme la France, l’Espagne ou la Suède, cette initiative entend instaurer un « scan côté client » directement sur les appareils des utilisateurs, y compris ceux utilisant des services chiffrés de bout en bout comme Signal, WhatsApp ou Telegram.
Une opposition grandissante en Allemagne
Le 7 octobre, la ministre fédérale allemande de la Justice, Stefanie Hubig, a déclaré publiquement que « le contrôle aléatoire des conversations privées doit rester un tabou dans un État de droit », affirmant que « l’Allemagne ne donnera pas son accord à de telles propositions au niveau européen ». Même les pires crimes, a-t-elle souligné, ne sauraient justifier une atteinte aux droits fondamentaux.
Massenhaftes Scannen privater Nachrichten muss in einem Rechtsstaat tabu sein. « Solchen Vorschlägen wird Deutschland auf EU-Ebene nicht zustimmen », betont Bundesjustizministerin Stefanie Hubig. (1/2) pic.twitter.com/74cWYOy9TX
— BMJV (@bmjv_bund) October 8, 2025
Cette position a été confirmée par Jens Spahn, chef du groupe CDU/CSU au Bundestag, qui a comparé la proposition à « l’ouverture systématique de toutes les lettres postales à titre préventif », qualifiant cette idée d’« inacceptable ».
Le projet mis en échec au Conseil de l’UE
Selon les règles européennes, un texte soumis au Conseil de l’Union doit obtenir une double majorité qualifiée : l’approbation d’au moins 15 États membres représentant au moins 65 % de la population totale de l’UE. Or, avec l’Allemagne représentant à elle seule près de 19 % de cette population, son basculement du côté des opposants rend désormais cette majorité mathématiquement impossible.
Une mobilisation citoyenne et numérique inédite
La résistance au projet ne vient pas uniquement des sphères politiques. Des organisations comme Signal, la Fondation Internet Society, ou encore l’ONG European Digital Rights, ont multiplié les prises de parole pour alerter sur les dangers d’une telle législation.
Ils redoutent qu’un tel système, une fois mis en place, soit utilisé pour d’autres types de surveillance, au-delà de la lutte contre les abus sexuels.
Plusieurs experts en cybersécurité ont également mis en garde contre les failles que pourrait introduire une telle architecture de surveillance. Un système de scan obligatoire, opérant avant le chiffrement, constituerait une « porte dérobée » vulnérable aux attaques d’acteurs malveillants, qu’ils soient criminels ou étatiques.
Une victoire d’étape, mais pas une fin de partie
Si le retrait du vote représente une victoire pour les défenseurs de la vie privée, tous restent prudents. Le texte pourrait être réintroduit ultérieurement, sous une forme modifiée, par une autre présidence tournante du Conseil de l’UE.
Pour l’instant, les messageries chiffrées restent protégées. Mais la bataille pour l’avenir de la vie privée numérique en Europe est loin d’être terminée.
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