
Depuis le 30 mai, ETECSA, l’unique opérateur public de télécommunications, a limité à 6 gigaoctets le volume de données accessible pour 360 pesos (moins de 1€ au taux du marché noir), une consommation inférieure à la moyenne de 10 Go mensuels sur l’île. Au-delà de cette limite, il faut désormais débourser 3 360 pesos (près de la moitié du salaire mensuel moyen) pour obtenir seulement 3 Go supplémentaires. D’autres forfaits sont exclusivement facturés en dollars, devise inaccessible à la majorité de la population.
Cette politique a été dénoncée comme une forme d’apartheid numérique, forçant les Cubains à renoncer à une ressource devenue vitale pour s’informer, communiquer avec leurs proches à l’étranger, ou simplement se distraire dans un quotidien marqué par les pénuries et les coupures d’électricité.
Une mesure injuste malgré des concessions
Face à l’indignation croissante, les autorités ont partiellement reculé en proposant aux étudiants un volume de données doublé (12 Go pour 360 pesos), un geste qui n’a guère apaisé les esprits. De nombreux étudiants estiment que l’égalité d’accès devrait concerner l’ensemble de la population.
Dans les rues comme sur les campus, la colère persiste. Des appels au boycott des cours ont été lancés, notamment dans certains départements de l’Université de La Havane. Bien que la fréquentation reste pour l’instant stable, la tension est palpable et les menaces de grève continuent.
Le gouvernement cherche des devises
Selon le vice-premier ministre Eduardo Martínez Díaz, ces mesures visent à maintenir un service qui nécessite des centaines de millions de dollars par an. Il reconnaît cependant que près de la moitié des Cubains se retrouvent désormais en difficulté pour accéder à Internet. Mais les explications officielles peinent à convaincre, tant le discours de « mesure douloureuse mais temporaire » a été répété au fil des décennies pour justifier les pénuries et restrictions.
Cette dollarisation progressive des services, déjà présente dans l’alimentation, le carburant ou l’habillement, marginalise davantage ceux qui ne bénéficient pas de soutiens extérieurs. Les émigrés cubains, souvent contraints de subvenir aux besoins de leurs proches restés au pays, dénoncent une exploitation émotionnelle organisée par l’État.
Une fracture numérique révélatrice d’un modèle épuisé
Les critiques ne viennent plus seulement des opposants traditionnels. Des institutions publiques comme la Fédération des étudiants universitaires, des facultés de La Havane ou des artistes s’inquiètent aussi des conséquences sociales de cette réforme. Pour l’économiste Ricardo Torres interrogé par El Pais, cette crise reflète l’échec d’un modèle économique incapable de générer de la richesse locale : « Utiliser un monopole des télécommunications pour financer l’État au lieu de stimuler la production nationale est un aveu de dysfonctionnement. »
Dans ce contexte, un mouvement de résistance numérique émerge. Certains refusent désormais de recharger leurs forfaits, d’autres appellent à un arrêt total des recharges envoyées depuis l’étranger, en signe de protestation. Ce geste symbolique vise à exercer une pression économique sur le gouvernement cubain, tout en exprimant la solidarité avec les plus démunis, privés d’un droit fondamental à la communication.